On parle de chevaux, de centimètres cube, de mètres-kilo, ... mais n'oublierait-on pas que, pour certaines personnes, au-delà de cette acumulation de chiffres bruts, par-delà même les hurlements de la mécanique torturée par des conditions de température et de pression extrêmes, il y a... la poésie ?
La poésie du bitume a ceci de particulier qu'elle ne renie pas la bestialité motarde, au contraire elle la fait sienne et cela rend sa grâce d'autant plus singulière.
C'est un peu Jean Réno, la moto : un aspect bourru et patibulaire mais presque, capable d'émouvoir et de provoquer la poésie. Luc Besson l'a particulièrement bien compris dans "Le grand bleu" et "Léon", catalogués films à beauf en raison de la présence de Réno, et pourtant singulièrement poétiques (bon, après, Besson n'a plus rien fait de bien mais c'est une autre histoire).
Cette alliance de brutalité et de poésie fait tout le charme de la moto. Ceux qui ne voient que le moyen de locomotion pour beauf ou la machine à stunter sont des cons. Ceux qui ne voient que le côté glamour sont des gays qui roulent en Harley.
La moto qui se prépare à partir loin n'est qu'un tas de ferraille, de plastique et de fluides divers, froid et immobile dans son antre de béton.
Lorsque le démarreur vient mettre en mouvement le moteur et que les premières étincelles jaillissent des bougies, le tas de ferraille s'ébroue, toussote, cale souvent 2 ou 3 fois... et soudain c'est le réveil, l'envie de tourner est plus forte que la résistance du métal froid à peine lubrifié par une huile encore pâteuse. Très vite, tout se met en place, l'huile se fluidifie, la culasse se réchauffe, les pièces se dilatent, le ralenti devient stable.
Et lorsque, après les vérifications d'usage très importantes à l'orée d'un voyage long, la première est enclenchée dans un claquement sec, lorsque la main gauche se relache tout doucement pour embrayer, les premiers tours de roue sont comme l'échauffement d'un sportif qui sait que, bientôt, il sera ébloui par les feux de la rampe, aux yeux du monde.
Il faut encore jouer de l'embrayage car le moteur n'est pas tout à fait réveillé. Les premiers kilomètres sont là pour lui permettre de se remettre les idées en place, tout est encore un peu endormi...
Et au bout de ce tour de chauffe, ça y est, l'albatros a déployé ses ailes et peut survoler le bitume froid et baigné du brouillard magique du petit matin.
On fend l'air plus qu'on ne roule, les escargots tapis sur le bâs-côté sentent bien une étrange odeur de gomme leur passer au ras de la coquille, mais, trop rapide, ils n'apercevront rien du furieux destrier de feu et de métal qui désormais est passé en vitesse-lumière.
L'air froid se fait glacial, chaque centimètre carré de peau mal protégé par les multiples couches de vêtements se rappelle au bon souvenir du motard congelé. Mais peu importe la selle dure, le froid vif, peu importe ces broutilles quand on nage dans un bonheur tel que tout est beau, la campagne encore plongée dans l'obscurité nocturne, les étoiles qui scintillent et se reflètent sur la visière, les villages endormis aux maisons basses et volets clos, les premiers rougeoiements à l'est qui ressemblent à la naissance du monde...
Quand je regarde la carte de France accrochée au mur, je vois le plus beau des posters... j'aimerais que ce soir la carte du monde, mais bon il faut savoir raison garder :d
Chaque trait rouge ou jaune me rappelle des bons souvenirs, des paysages tellement beaux qu'on en pleurerait, de la pluie, de la neige, des casse-dalle, une rencontre insolite avec une mamie pas du tout à la ramasse ("ah, vous faites de la moto... moi aussi j'en ai fait dans le temps, qu'est-ce qu'on a pu déconner avec ça"... j'étais mort de rire, j'imaginais la mamie à tablier sur une moto... enfin, ça m'a étrangement rappelé qu'on a trop tendance à infantiliser les vieux alors qu'on devrait les respecter davantage, ils ont vécu, ils ont l'expérience).
L'autoroute, quant à elle, me fait tristement penser à Mac Do : c'est bien pratique pour dépanner, mais ça n'a strictement aucune saveur.
Quand il pleuvait, quand j'étais crevé, à la bourre etc. c'est avec plaisir que je me suis rabattu sur l'excellent réseau autoroutier... mais vraiment, dans la mesure du possible : j'évite. C'est un gâchis inconcevable de prendre l'autoroute, alors qu'on aurait le temps de prendre nationales et départementales. Ces routes sont infiniment plus belles, plus charmeuses ! Sur l'autoroute on ne voit véritablement rien, c'est navrant, alors que l'intérêt de tailler la zone, c'est justement de voir du paysage, et surtout de se sentir libre en se composant soi-même un petit road book mitonné aux petits oignons... En en parlant autour de moi, je n'ai pu que constater, la mort dans l'âme, que pour la plupart des gens, la route se résume à un moment chiant entre le départ et l'arrivée, moment qu'il convient de raccourcir autant que possible. S'ils savaient à côté de quoi ils passent !
Car enfin, faut l'avouer : on a des putains de paysages qui déchirent, en France !! De la campagne douce aux alentours de Dijon, des montagnes magistrales dans les Alpes, des paysages au charme phénoménal en Provence, une forêt ombrageuse et envoûtante dans les Vosges, une montagne douce et sauvage dans le Jura, des vallées perdues dans l'Ardèche, de la fiente en région parisienne (:d), une côte sauvage et immaculée (ou presque, merci Total et consorts) dans les Landes, plus urbanisée mais terriblement attachante en Bretagne...
Pour beaucoup de gens, cette dimension du voyage n'existe même pas. J'ai déjà pris quelques fois le TGV... mais c'est tragique !!
Pour quelqu'un qui fait le trajet souvent, ok c'est très bien... mais pour partir occasionnellement en vacances, c'est quoi le putain d'intérêt ??? On ne voit rien, on ne sent rien, on est juste téléporté à 800 bornes de son point de départ. Aucun intérêt.
En fait, si je ne sens pas les kilomètres, je n'ai pas l'impression d'être éloigné de Paris... et le dépaysement, le repos ne sont pas les mêmes
Avec la moto j'ai découvert la liberté, l'aventure et le dépaysement total... Toutes choses qui existent en boitaroue, mais totalement édulcorées par le confort, le silence des voitures modernes... bientôt, l'IA des voitures interdira même d'ouvrir la vitre en roulant au prétexte qu'il y a une clim :'(
Vivement l'été, vivement le soleil qui réveille les yeux gonflés d'avoir trop dormis pendant l'hiver, vivement que les couleurs reviennent, vivement le bitume chaud et les routes aux virolos affolants sous le spotlight solaire, bordel de crénom d'une clef à pipe !!!
(si quelqu'un a tout lu, félicitations il a gagné un paquet de BN à la fraise :d)